C'est
une affaire dont la presse n'a pas fait grand écho. En décembre, la
police italienne a démantelé un énorme trafic de faux produits
bio. Les trafiquants, soupçonnés d'être liés à la mafia, avaient
trouvé la combine : acheter en Roumanie des céréales et des
fruits secs bon marché, transformés en produits bio grâce à de
faux documents, et revendus quatre fois plus cher à des grossistes
qui n'y voyaient que du feu. Neuf pays européens, dont la France,
ont profité de ces marchandises pleines de pesticides étiquetées
« bio ». Depuis cinq ans que durait le trafic des
milliers de tonnes de faux produits bio auraient ainsi été écoulées
pour au moins 220 millions d'euros. Parmi les fraudeurs, cinq
dirigeants italiens d'entreprises agroalimentaires et deux
responsables d'organismes de certification corrompus, censés
contrôler la filière bio...
Une
question se pose : quelles quantités de céréales, pâtes
alimentaires, farine de froment, raisins secs ou huile de tournesol
faussement bio les français ont-ils consommées ?. Huit mois
après ce joli coup de filet, personne ne sait. Comme souvent, la
répression des fraudes, dont la mission est de traquer les
tricheurs, est dans le flou total. Au ministère de l'Agriculture, on
parle de 7 000 tonnes importées en deux ans. C'est embarrassant
quand on sait que 32 % du bio qui est dans nos assiettes est importé.
Même si les prix en magasin sont de 20 à 50 % plus élevés, les
ventes de bio ont quadruplé en dix ans. Pour ne pas tuer la poule
aux œufs d'or (un marché annuel de 4 milliards) les acteurs
français de l'agriculture biologique font valoir que leur filière
est archi-contrôlée.
Neuf
organismes certificateurs sont chargées de repérer les fraudeurs
parmi les 22 500 producteurs et 7 400 transformateurs qui arborent le
fameux logo « AB ». Ces gendarmes du bio épluchent les
dossier de candidature et renouvellement ou pas, des licences
octroyées pour un an. On compterait chaque année une petite
centaine de suspensions ou de retraits de licence. Dans sa chasse au
fraudeurs, la Répression des fraudes intervient en deuxième ligne
sur les étals. Ou plutôt sur le papier, parce qu'elle n'a pas les
troupes suffisantes pour veiller au grain. D'ailleurs, quand on
demande le nombre et le résultat des contrôles à la chef du
cabinet du patron, responsable de la communication, c'est silence
radio. Mais qu'on ne s'y trompe pas, la vraie menace qui pèse sur le
bio, ce n'est pas la fraude mais une entourloupe parfaitement légale,
et même encouragée par l'Europe : le bio « industriel ».
Un oxymore inventé par de puissantes coopératives agricoles liées
aux géants de l'agroalimentaire.
Une
nouvelle réglementation pondue par Bruxelles, a rendu possible cette
dérive. Quand vous achetez votre poulet bio, vous n'imaginez pas un
instant qu'il ait pu être élevé dans un poulailler de 25 600
places. C'est pourtant ce qu'autorise, depuis 2009, le logo « AB »
revu par la Commission européenne. Et du côté des pondeuses bio,
il n'existe aucune limite de taille pour les ateliers. Privilège du
bio, les poulets profitent toutefois, dès leur age adulte, d'un
parcours extérieur où ils peuvent s'ébattre en journée sur 40 cm²
chacun. Mais la promiscuité leur tape sur les nerfs, et ils sont
souvent « ébecqués » pour ne pas s'étriper. Le poulet
bio a désormais droit, un fois par an, à des antibiotiques et, sans
aucune limite, aux traitements antiparasitaires.
Autrefois,
la réglementation imposait qu'au moins 40% du menu des volailles
soit cultivé dans le ferme. Aujourd'hui, l'éleveur bio n'a plus à
se soucier de faire pousser lui-même le blé ou le maïs, il peut
l'acheter à l'extérieur. Fini le sacro-saint « lien au sol »
qui garantissait la traçabilité et une transparence sur le contenu
de l'assiette. Tout cela permet de faire du poulet bio en système
« intégré » pour le plus grand bonheur des géants
coopératifs qui ont investi le créneau. Comme Terrena (4 milliards
de chiffre d'affaires annuel) ou Maïsadour (1,2 milliards), filiale
du géant suisse de l'agrochimie Syngenta. Simple exécutant,
l'éleveur bio se contente d'engraisser en quatre-vingts-un jours des
volailles qui ne lui appartiennent pas, nourries avec des aliments
fournis par la coopérative. Comme son cousin industriel, le poulet
estampillé « AB » se goinfre désormais de soja importé,
certes bio, mais qui peut contenir jusqu'à 0,9% d'OGM sans perdre
son label. Un aliment hyper-calorique moins cher que le maïs ou le
blé. Sauf qu'en s'approvisionnant à bas coût sur les marchés
internationaux, on n'y vois pas toujours plus clair sur la qualité
du produit. Il y a quatre ans, Terrena s'est fait refourguer par les
chinois 300 tonnes de tourteaux de soja bio contaminé à la
mélamine...
le
consommateur, lui, ne décèle aucune différence sur l'étiquette
quand il achète son poulet bio. Celui-ci élevé dans une ferme
traditionnelle, où il picore ce qui pousse sur place, et la volaille
produite en élevage intensif ont droit au même logo « AB ».
Avec les fruits et légumes bio, au moins, il ne devrait pas y avoir
de mauvaises surprises. C'est Faux. Grâce à l'Europe, on peut
produire hors-sol dans des serres géantes. La mode du bio a même
gagné la province de Huelva, en Espagne, l'usine à fraises de
l'Europe, avec 7 000 hectares de serres qui produisent toute l'année.
« Un des plus gros maraîchers du coin, qui faisant de
l'intensif, produit aujourd'hui des fraises bio en exploitant les
mêmes immigrés agricoles dans les mêmes serres », raconte
Philippe Baqué, coauteur du livre « La bio entre business
et projet de société ». Au lieu de plonger les racines dans
du gravier ou de la laine minérale, on utilise du sable, isolé du
sol par une enveloppe en plastique, le tout irrigué au
goutte-à-goutte. Le même schéma qui se dessine donc, une tomate
bio cultivée en plein champ par un producteur local et une autre
élevée hors-sol et hors saison, porteront toutes les deux le fameux
logo « AB ».
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