mardi 6 septembre 2011

Des milliards que l’Europe ne va jamais voir

Pour seulement la France, où les fraudeurs à la TVA sont légion, jusqu'à 15 milliards. Soit six fois le montant de l'ISF (Impôts sur la Fortune)


Le chiffre sont impressionnants : en Europe, les fraudes à la TVA représentent entre 100 et 112 milliards d'euros par an. Cette estimation figure dans une récente étude d'Europol, organe de coordination policière entre les divers pays de l'Union Européenne. La commission européenne estime qu'environ 10% du volume global de la TVA ne finisse pas dans les caisses publiques. En Allemagne, une étude a établi que la fraude privait l'Etat de quelque 18 milliards par an. En France, le ministère du Budget s'appuie sur un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires datant de mars 2007, qui évalue l'évaporation à environ 8,1 milliards. Mais pour le Syndicat national unifié des impôts, l'addition atteindrait aujourd'hui 15 milliards par an.

La majorité de cette fraude provient du commerce entre les différents pays de l'Union européenne. Depuis la mise en place du marché unique, le 1er janvier 1993, les marchandises exportées d'un pays vers un autre ne font plus l'objet d'aucun contrôle lors du passage des frontières. Lorsqu'une société française vend un produit à une entreprise allemande, elle a pour seule obligation de signaler au fisc l'identité (sous forme de numéro d'immatriculation) de l'acheteur. L'exportation se fait au prix hors taxes, et c'est l'acheteur allemand qui doit régler la TVA au fisc germanique, lequel aura été informé de la transaction par l'administration fiscale française.

Jusque-là tout va bien. Mais l'importateur peut être une société bidon créée pour l'importation en question. Juste le temps de revendre à un autre acheteur allemand (un vrai celui-là) en lui facturant la TVA puisqu'il n'y a pas, cette fois exportation. Une TVA dont le fisc ne verra jamais la couleur. Lorsqu'il s'en inquiétera, dans un délais en moyenne de deux mois, la société intermédiaire aura disparu. C'est la méthode dite du « carrousel ». Sur la vente d'un ordinateur à 1000 euros par exemple, le « gain » atteint près de 200 euros. La société factice partage ce bonus avec un éventuel complice (le vendeur français ou le deuxième acheteur allemand). Parfois, la transaction est même complètement fictive et se borne à un échange de fausses factures. Les marchandises ne quittent alors jamais la France, où elles sont revendues sous le manteau à prix « cassé », grâce à la marge supplémentaire dégagée par l'absence de TVA.

« La méthode du carrousel se pratique surtout sur les biens de faible volume et de forte valeur, comme les téléphones mobiles, les composants électroniques ou les parfums », explique un porte-parole de la Commission Européenne. Comme dans ce réseau de fraude entre la France, la Grande-Bretagne et la Pologne, portant principalement sur des téléphones portables et du matériel informatique, récemment démantelé. En France, la Direction générale des impôts évalue l'évaporation fiscale à un demi-milliard d'euros pour le seul circuit européen. Autre biens ciblés, les voitures d'occasion. Selon les estimations de professionnels, de nombreux garagistes français réalisent un bénéfice supplémentaire de plusieurs milliers d'euros en acquérant en Allemagne un véhicule d'occasion haut de gamme. L'astuce de cette source financière, l'Allemagne est le seul pays européen où les exportateurs de voitures d'occasion se voient rembourser la TVA.

Concrètement, le fisc allemand restitue à l'exportateur le montant de la TVA locale (19%). Soit, par exemple, 5700 euros sur un véhicule presque neuf mais revendue à un Français 30000 euros. Laquelle transite alors fictivement, il ne s'agit que d'un échange de facture par l'Espagne, puis « revient » en France. Côté français, les véhicules immatriculés depuis plus de six mois et ayant parcouru plus de 6000 km ne sont plus soumis à la TVA, car ils sont censés l'avoir été lors de l'achat en Espagne. Pour faire simple : la voiture sort d'Allemagne, permettant ainsi à l'exportateur d'encaisser un bon paquet de TVA, puis transite fictivement par l'Espagne, le temps de se refaire une santé fiscale, pour enfin rentrer en France sans taxes. Il ne reste plus qu'a partager entre l'exportateur allemand et l'acheteur français la TVA perçue en Allemagne.

En juin, un garagiste du Jura a été condamné pour une fraude de ce type. En trois ans, ce modeste professionnel avait privé le fisc de 3,5 millions d'euros de TVA. Et il a déclaré aux autorités qu'il connaissait « des centaines d'entreprises » en France qui pratiquaient le même sport. Face à l'importance de l'escroquerie, Bruxelles expérimente depuis 2009, avec les pays volontaires et dans un nombre limité de secteurs, un nouveau système : la TVA est payée en une seule fois lors de la vente finale, non par le vendeur, toujours susceptible de disparaître, mais par l'acheteur. Les fraudeurs vont bien trouver la parade...


Le gaz fiscal


Les fraudeurs à la TVA sont de farouches partisans de la lutte contre le réchauffement climatique. Car ils en profitent largement, avec l'arnaque sur les certificats de CO2. Gain au niveau européen : plus de 5 milliards d'euros, selon un rapport d'Europol publié en mai dernier. Le plus étonnant est qu'il n'y a pas besoin de faire de gros investissements : un ordinateur et une connexion Internet suffisent.

Chaque entreprise européenne est autorisée à rejeter gratuitement une certaine quantité de CO2 dans l'atmosphère. Mais si elle dépasse son quota de rejet, une amende tombe. A moins d'acheter à une autre entreprise qui elle, ne « consomme » pas tout son quota, des droits à polluer, payés de 10 à 15 euros la tonne de CO2 émise. Plusieurs marchés d'échange de quotas de carbone existent ainsi en Europe.

Les fraudeurs ont rapidement trouvé un moyen d'en tirer profit. Ils achetaient, depuis Internet des quotas à l'étranger, et donc sans payer la TVA, avant de les revendre, toujours sur Internet, sur le marché national en y ajoutant la TVA. Et ils la gardaient avant de disparaître dans la nature. En quelques clics, on pouvait gagner pas mal d'argent. Hélas, depuis 2009, c'est à l'acheteur de quotas et non au vendeur d'acquitter la TVA. « Aujourd'hui la fraude a pratiquement disparu », assure un porte-parole de la Commission Européenne. C'est comme ça qu'on tue le commerce.