jeudi 24 juin 2010

A but non lucratif

17 jours avant la finale, le grand vainqueur de la Coupe du monde 2010 est déjà connu. Il s'agit de la Fédération internationale de football (Fifa), arbitre planétaire du ballon et des ronds. Une institution qui a la haute main sur l'attribution de milliards de primes, de droits télé, de marketing et de sponsoring. Et, sauf scénario catastrophe, elle empochera plusieurs centaines de millions de bénéfices avec ce Mondial sud-africain.
La Fifa, c'est un peu l'équivalent de l'ONU mais dans le foot. Elle mène à la baguette les 208 fédérations (plus que les membres des Nations unies) qui la composent. Son patron, le Suisse Joseph Blatter, traite d'égal à égal avec les chefs d'Etat, de Poutine à Obama, adresse des remontrances aux gouvernements pas assez accommodants et octroie d'énormes aides à des pays pauvres. Association « sans but lucratif », c'est très sérieux, la Fifa ne rend compte à personne de ses actes politiques ou financiers. Ainsi le prédécesseur de Blatter, le Brésilien Havelange, a-t-il fait ami-ami avec le Chilien Pinochet et l'Argentin Videla. Plus fort encore, il a pris le thé avec le dictateur nigérian Sani Abacha, deux jours avant la pendaison de Ken Saro Wiwa, grand écrivain et opposant politique. Blatter, lui, peut revendiquer d'incontestables succès diplomatiques. Comme la reconnaissance sportive de la Palestine, qui cohabitera, dans la même fédération, avec Israël. Ou le maintien en sein de frères ennemis comme Taïwan et la Chine.
Mais il faut également souligner des affinités à des personnages peu avenants, comme jadis, le boucher libérien Charles Taylor ou le « dirigeant bien-aimé » nord-coréen Kim Jong-li. Sans trop de complexes, Blatter a récemment félicité le Tunisien Ben Ali pour « ses multiples interventions en faveur de la paix dans le monde », et il a reculé face aux mollahs iraniens, qui exigeaient que leurs footballeuses jouent coiffées d'un foulard. A l'intérieur de la Fifa, l'élection du président se gagne à la majorité des voix des pays membres. Or, amusante particularité, chacun d'eux pèse du même poids, quelle que soit sa population. Exemple, la Chine ne compte pas davantage que la minuscule île de Montserrat (5000 habitants), proche de la Guadeloupe. Les îles et les micro-Etats (Andorre, Saint-Marin...) constituent donc une source d'électeurs très apprécié. Notamment dans les Caraïbes, qui, avec l'Amérique centrale, représentent un cinquième des votes. Président de la confédération regroupant ces confettis, le Trinitéen Jack Warner est un indéfectible allié de Blatter. Qui, en retour, ne lui a jamais privé de son soutien. Même lorsque le cabinet Ernst & Young l'a accusé d'avoir empoché 1 million de dollars sur la revente de billets.

Hors jeu coûteux


Membre du comité exécutif de la Fifa, qui compte 24 représentants, Jack Warner n'est pas le seul à bénéficier de l'indulgence du grand patron. C'est aussi le cas du Brésilien Ricardo Texeira, plusieurs fois accusé de corruption par le champion et ex-ministre des Sports Pelé. Ou celui du Paraguayen Nicolas Leoz, confondu, en mars 2008 devant un tribunal suisse, par d'anciens cadres du groupe de marketing ISL pour avoir reçu 148 000 euros de dessous-de-table. Malgré les documents produits, la justice les a qualifiés de commissions (au moment des faits ils étaient légaux) et a relaxé Nicolas Leoz.
Autre dirigeant pas très clair, l'Argentin Julio Grondona a déclaré, en juillet 2003 : « Je ne crois pas qu'un juif puisse être un jour arbitre à ce niveau (1ère division de l'argentine) car c'est dur et, vous le savez, les juifs n'aiment pas travailler dur. » Cet humoriste préside depuis des années, la très stratégique commission des fiances de la Fifa. Blatter oublie vite les dérapages de ces collaborateurs. C'est ainsi qu'il a réintégré, et promu, un jeune français qui dirigeait naguère le département marketing de la fédération. Jérôme Valcke avait négocié avec le groupement bancaire Visa un contrat de sponsor officiel de la Fifa. Alors que son concurrent direct, Mastercard, détenait déjà un contrat du même type. En janvier 2007, la Fifa a été lourdement condamnée en première instance : elle a dû verser plus de 70 millions à Mastercard et a viré Valcke. Mais Blatter, qui avait sans doute supervisé l'opération, l'a rappelé au bout de quelques mois et nommé au poste de confiance de secrétaire général. Autrement dit, numéro deux de la Fifa. C'est avec l'appui de tous ces obligés que Blatter se prépare à briguer, à 74 ans, un quatrième mandat consécutif de pape du football. Michel Platini tenté d'y apporter de la concurrence semble aujourd'hui décidé à passer son tour. Le seul moyen pour lui de s'imposer eût été de remettre en question la « méthode  Blatter ». Comme en 2002, lorsque plusieurs patrons de fédération se sont interrogés sur le brusque retournement de veste, à coups d'enveloppes, ont-ils prétendu, d'une vingtaine de délégués africains. Des dirigeants jusque-là très hostiles à cet « intouchable » Blatter.

De l'argent, de l'argent et encore de l'argent

Des frais d'hôtel de 7 millions par sélection nationale. Des primes aux clubs et aux joueurs dont certains, avec l'aide de leur fédération, toucheront plus de 600 000 euros en cas de victoire finale. Des « dotations » aux équipes proches de 350 millions. Qui paie ?, ben la Fifa et c'est pas trop dur pour elle car elle attend plus de 2,5 milliards de recettes de ce Mondial. Principalement dû aux droits télé, qui ont presque doublé depuis la dernière édition, en Allemagne. N'importe qui peut conclure que cette Fifa est une affaire en or. Ses fonds propres, qui en 2003 atteignaient à peine 50 millions, dépassent aujourd'hui le milliard. Mais la trésorerie disponible est encore bien supérieur...
Étonnant vu son statut « à but non lucratif », ses dirigeants, Joseph Blatter en tête, en profitent, il faut le dire, modestement. Leurs salaires sont secrets, mais un total annuel de 3 à 4 millions d'euros est souvent avancé. Sans compter une série de primes diverses, à six chiffres tout de même.
Dans le cercle d'influence de la Fifa, la société Infront Sport et Médias décroche des contrats enviables. En 2006, elle avait même obtenu la propriété de tous les droits télé qu'elle revendait aux chaînes du monde entier. À l'heure actuelle, elle contribue à leur commercialisation en Asie, filme et diffuse les images officielles de la Coupe du monde. Tandis qu'une société dont elle est actionnaire propose des séjours de luxe et billets pour les matchs inclus. Détail important, ce groupe privilégié est dirigé par un certain Philippe Blatter, neveu du patron de la Fifa. Au football, cela s'appelle recevoir un caviar sur un plateau.