vendredi 7 septembre 2012

Bio à la sauce industriel

C'est une affaire dont la presse n'a pas fait grand écho. En décembre, la police italienne a démantelé un énorme trafic de faux produits bio. Les trafiquants, soupçonnés d'être liés à la mafia, avaient trouvé la combine : acheter en Roumanie des céréales et des fruits secs bon marché, transformés en produits bio grâce à de faux documents, et revendus quatre fois plus cher à des grossistes qui n'y voyaient que du feu. Neuf pays européens, dont la France, ont profité de ces marchandises pleines de pesticides étiquetées « bio ». Depuis cinq ans que durait le trafic des milliers de tonnes de faux produits bio auraient ainsi été écoulées pour au moins 220 millions d'euros. Parmi les fraudeurs, cinq dirigeants italiens d'entreprises agroalimentaires et deux responsables d'organismes de certification corrompus, censés contrôler la filière bio...
Une question se pose : quelles quantités de céréales, pâtes alimentaires, farine de froment, raisins secs ou huile de tournesol faussement bio les français ont-ils consommées ?. Huit mois après ce joli coup de filet, personne ne sait. Comme souvent, la répression des fraudes, dont la mission est de traquer les tricheurs, est dans le flou total. Au ministère de l'Agriculture, on parle de 7 000 tonnes importées en deux ans. C'est embarrassant quand on sait que 32 % du bio qui est dans nos assiettes est importé. Même si les prix en magasin sont de 20 à 50 % plus élevés, les ventes de bio ont quadruplé en dix ans. Pour ne pas tuer la poule aux œufs d'or (un marché annuel de 4 milliards) les acteurs français de l'agriculture biologique font valoir que leur filière est archi-contrôlée.
Neuf organismes certificateurs sont chargées de repérer les fraudeurs parmi les 22 500 producteurs et 7 400 transformateurs qui arborent le fameux logo « AB ». Ces gendarmes du bio épluchent les dossier de candidature et renouvellement ou pas, des licences octroyées pour un an. On compterait chaque année une petite centaine de suspensions ou de retraits de licence. Dans sa chasse au fraudeurs, la Répression des fraudes intervient en deuxième ligne sur les étals. Ou plutôt sur le papier, parce qu'elle n'a pas les troupes suffisantes pour veiller au grain. D'ailleurs, quand on demande le nombre et le résultat des contrôles à la chef du cabinet du patron, responsable de la communication, c'est silence radio. Mais qu'on ne s'y trompe pas, la vraie menace qui pèse sur le bio, ce n'est pas la fraude mais une entourloupe parfaitement légale, et même encouragée par l'Europe : le bio « industriel ». Un oxymore inventé par de puissantes coopératives agricoles liées aux géants de l'agroalimentaire.
Une nouvelle réglementation pondue par Bruxelles, a rendu possible cette dérive. Quand vous achetez votre poulet bio, vous n'imaginez pas un instant qu'il ait pu être élevé dans un poulailler de 25 600 places. C'est pourtant ce qu'autorise, depuis 2009, le logo « AB » revu par la Commission européenne. Et du côté des pondeuses bio, il n'existe aucune limite de taille pour les ateliers. Privilège du bio, les poulets profitent toutefois, dès leur age adulte, d'un parcours extérieur où ils peuvent s'ébattre en journée sur 40 cm² chacun. Mais la promiscuité leur tape sur les nerfs, et ils sont souvent « ébecqués » pour ne pas s'étriper. Le poulet bio a désormais droit, un fois par an, à des antibiotiques et, sans aucune limite, aux traitements antiparasitaires.
Autrefois, la réglementation imposait qu'au moins 40% du menu des volailles soit cultivé dans le ferme. Aujourd'hui, l'éleveur bio n'a plus à se soucier de faire pousser lui-même le blé ou le maïs, il peut l'acheter à l'extérieur. Fini le sacro-saint « lien au sol » qui garantissait la traçabilité et une transparence sur le contenu de l'assiette. Tout cela permet de faire du poulet bio en système « intégré » pour le plus grand bonheur des géants coopératifs qui ont investi le créneau. Comme Terrena (4 milliards de chiffre d'affaires annuel) ou Maïsadour (1,2 milliards), filiale du géant suisse de l'agrochimie Syngenta. Simple exécutant, l'éleveur bio se contente d'engraisser en quatre-vingts-un jours des volailles qui ne lui appartiennent pas, nourries avec des aliments fournis par la coopérative. Comme son cousin industriel, le poulet estampillé « AB » se goinfre désormais de soja importé, certes bio, mais qui peut contenir jusqu'à 0,9% d'OGM sans perdre son label. Un aliment hyper-calorique moins cher que le maïs ou le blé. Sauf qu'en s'approvisionnant à bas coût sur les marchés internationaux, on n'y vois pas toujours plus clair sur la qualité du produit. Il y a quatre ans, Terrena s'est fait refourguer par les chinois 300 tonnes de tourteaux de soja bio contaminé à la mélamine...
le consommateur, lui, ne décèle aucune différence sur l'étiquette quand il achète son poulet bio. Celui-ci élevé dans une ferme traditionnelle, où il picore ce qui pousse sur place, et la volaille produite en élevage intensif ont droit au même logo « AB ». Avec les fruits et légumes bio, au moins, il ne devrait pas y avoir de mauvaises surprises. C'est Faux. Grâce à l'Europe, on peut produire hors-sol dans des serres géantes. La mode du bio a même gagné la province de Huelva, en Espagne, l'usine à fraises de l'Europe, avec 7 000 hectares de serres qui produisent toute l'année. « Un des plus gros maraîchers du coin, qui faisant de l'intensif, produit aujourd'hui des fraises bio en exploitant les mêmes immigrés agricoles dans les mêmes serres », raconte Philippe Baqué, coauteur du livre « La bio entre business et projet de société ». Au lieu de plonger les racines dans du gravier ou de la laine minérale, on utilise du sable, isolé du sol par une enveloppe en plastique, le tout irrigué au goutte-à-goutte. Le même schéma qui se dessine donc, une tomate bio cultivée en plein champ par un producteur local et une autre élevée hors-sol et hors saison, porteront toutes les deux le fameux logo « AB ».