vendredi 21 juillet 2017

En route avec Macron

Un accord secret, que Bercy se refuse toujours à publier, offre plusieurs milliards de cadeaux aux sociétés du réseau autoroutier français.

Les heureux vacanciers s'élançant sur l'autoroute ne s'en doutent pas : les dernières hausses de tarifs de péage qu'ils ont pu s'acquitter résultent d'un impressionnant bas de fer disputé, au printemps 2015, entre l'Etat et les géants du BTP. Le premier, représenté par le ministre de l’Écologie et de l’Économie de l'époque, respectivement Ségolène Royal et Emmanuel Macron, réclamait un vaste programme de travaux. Les seconds exigeaient, à différents niveaux, des compensations financières. Au final, la victoire de ces derniers (qui se chiffre en milliards) est si écrasante que l'accord signé entre les deux parties est resté secret jusqu'à très récemment.
Un accord tellement sensible que, malgré la validation de la Commission d'accès aux documents administratifs (juillet 2015), confirmé par le tribunal administratif (juillet 2016), Bercy s'oppose toujours de le publier et a saisi le Conseil d'Etat en qualifiant l'accord de « protocole transactionnel » confidentiel. Hélas pour les nouveaux résidents de Bercy, l'accord a fuité et on peut constater le tapis rouge déroulé (une nouvelle fois) aux sociétés d'autoroutes.
Tout d'abord, aux termes de l'accord, ces sociétés bénéficient d'une clause de « stabilité fiscale » leur garantissant de pouvoir continuer de déduire de leur bénéfice imposable tous leurs intérêts d'emprunt. Pour toute autre société, la déduction ne dépasse pas les 60% desdits intérêts. Gains engrangés pour la seule année 2015 : 170 millions d'euros. Et cette clause est applicable jusqu'à la fin des concessions, prévue, selon les axes concernés, entre 2031 et 2096.
Second cadeau, les concessionnaires, appelés à supporter eux-mêmes une augmentation de 100 millions par an de la taxe d'occupation domaniale, sont autorisés à la faire payer aux usagers sous la forme d'augmentation des tarifs de péage. Comme cela, tout le monde participe.
Troisième don, les autoroutiers sont royalement dédommagés du gel des tarifs des péages d'un an décidé, début 2015 par Ségolène Royal. Entre 2019 et 2023, ils vont récupérer non seulement le manque à gagner mais, en plus, un bonus de 500 millions. Selon les calculs de l'Arafer (l'organisme public de supervision des autoroutes), l'intérêt de retard appliqué à ce rattrapage est d'environ 10%.
Quatrième offrande, l'accord fixe aussi le montant des compensations obtenues par les sociétés pour réaliser les 3,2 milliards de travaux du « plan de relance autoroutier » décidé en 2015. Or l'Arafer a pointé « des écarts de prix » importants entre le coût des travaux annoncé par les sociétés d'autoroutes et leur coût réel. On devine assez facilement en faveur de quelle partie concernée par l'accord. Par ailleurs, « un niveau élevé » de ces travaux surfacturés est attribué par les autoroutiers aux groupes de BTP dont ils dépendent. En contrepartie de ces caresses dans le sens du poil, et également pour compenser partiellement la suppression de l'écotaxe par Royal, les autoroutiers devront verser une « contribution volontaire » annuelle d'environ 50 millions sur vingt ans. Cela est sensé financer le développement des infrastructures de transports. De grands seigneurs ces sociétés d'autoroute.

Comment un accord aussi catastrophique pour les finances publiques et les usagers du réseau autoroutier français, a pu voir le jour. Un flashback est nécessaire. Le 17 septembre 2014, un rapport de l'Autorité de la concurrence braque les projecteurs sur les sociétés d'autoroutes. Il évalue le bénéfice net de ces sociétés à 24% de leur chiffre d'affaires.
Quelques semaines plus tard, une mission parlementaire conduite par le député Jean-Paul Chanteguet, propose la renationalisation des autoroutes. Une opération tellement onéreuse (on parle d'environ 40 milliards) que personne n'y croit vraiment. Mais il faut bien apaiser l'opinion publique. Ségolène Royal propose alors une série de mesures, dont la gratuité des autoroutes le week-end. Au final, il est décidé en janvier 2015, de ne pas appliquer la hausse des péages prévue au 1er avril.
Mais il y a un soucis, cette mesure est totalement illégale et les autoroutiers déposent des recours en justice qu'ils sont certains d'être statués en leurs faveur. Plus grave encore, ils menacent de renoncer aux 3,2milliards de travaux qu'ils s'étaient engagés à mener en échange d'un allongement de quelques années de la durée des concessions. Une catastrophe pour le gouvernement, qui voit dans ce « plan de relance autoroutier » le moyen de redresser le secteur sinistré du BTP ( plus de 10 000 emplois perdus en trois ans). Apaiser les esprits devient une priorité pour Bercy.
En février 2015, une négociation est entamée avec les directeurs généraux des cinq principales sociétés d'autoroutes. Elle se déroule dans les pires conditions. Pierre Cardo, alors président de l'Arafer résume la réunion : « L'Etat n'avait aucun volonté de mener une vraie négociation et n'avait aucune stratégie. Les sociétés d'autoroutes, filiales des grandes boites du BTP, avaient au contraire une grande force de persuasion avec leur puissance financière et leur chantage à l'emploi ». L'Etat s'est bien fait rouler et dépouiller au péage.

samedi 9 avril 2016

Méthodes stupéfiantes de l'OCRTIS

      François Thierry, le chef de l'OCTRIS, est sur la sellette. On lui cherche un remplaçant et même ses amis bien placés se font une raison. Car l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) enquête discrètement sur les étonnantes combines des flics de l'office. « Ils ont manqué à toutes les règles de la doctrine d'emploi et fait rentrer bien plus de drogues qu'ils en n'ont saisi », résume un haut magistrat. Un commissaire accuse : « L'Ocrtis deale avec certains trafiquants. C'est un système de donnant-donnant. Tu nous balances tes concurrents, on te laisse faire ton business. ».

      Jusqu'à présent, le système fonctionnait pas mal. Les grandes pontes de la politique étaient toutes heureuses d'annoncer des saisies record à répétition. Hollande s'est fait prendre au jeu, posant avec les flics, un à Marseille, un autre à Paris, et saluant un coup fatal porté au trafic de drogues. C'est pourtant loin d'être vrai… Il ne faut pas être énarque pour constater que si les saisies augmentent mais que le prix de la drogue sur le marché reste le même, c'est qu'il en rentre bien plus. Et ça, on le doit à l'Ocrtis et à François Thierry.

      Les agents de l'IGPN ont commencé à mijoter après la plainte d'un caid. Christophe M s'est fait prendre à l'occasion d'un stupéfiant échange de marchandises, shit contre coke entre la métropole et les Antilles. Les magistrats instructeurs ont découvert que les livraisons avaient été facilitées par la police. Et le 2 juillet 2015, la chambre d'instruction a annulé la procédure dans sa globalité, estimant qu'il y avait bien eu « provocation policière » et « intervention active » des flics de l'Ocrtis pour que le shit arrive sans encombre aux Antilles et la coke jusqu’à Roissy. Les deux informateurs ont fini par le reconnaître devant les juges « Avant chaque convocation de la justice, je demandais à l'Ocrtis ce que je devais dire ou ne pas dire ». En matière de stups, l'indic, le dealeur, le trafiquant et le flic se confondent facilement.

      De ce point de vue, l'affaire des 7 tonnes de shit trouvées boulevard Exelmans à Paris le 18 octobre 2016 est stupéfiante. Un camion bourré de drogue était garé devant le domicile d'un dealeur. Ce sont les douanes qui mettent le grapin sur le chargement. Ils préviennent l'Ocrtis qui se saisit de l'affaire… Mais le procureur de Paris, méfiant, préfère filer l'enquête à la brigade des stups. Ces limiers découvrent que le dealeur du boulevard Exelmans est aussi un indic de l'Ocrtis. Et que lui et ses compères ont fait passer sans soucis 1,9 tonne de résine de cannabis du côté de Nantes et 6 autres tonnes à la frontière franco-belge. En réalité, selon une source policière, « nous en avons récupéré 15 tonnes, mais il y en avait autant, voir plus, qui sont passés ». Des tonnes très certainement revendues par l'indic dealeur de l'Ocrtis…

      « Nous sommes bien conscients que toutes les affaires de stups voient le jour sur la base de renseignements. Mais quand l'indic constitue un élément nécessaire au trafic, il y a comme un souci. » confesse un magistrat. Si cet indic a beaucoup donné à François Thierry, c'est qu'il lui devait beaucoup. Le flic l'a recruté à la fin d'un procès, où il avait pris 13 ans pour trafic de shit avec le Maroc. En fait, il n'en a fait que 5, avant de sortir en libération conditionnelle. Faut dire qu'il avait une bonne avocate, intime du patron de l'Ocrtis. « Il lui a fourni des faux, qu'elle a transmis au juge de l'application des peines » affirme un magistrat. Un autre indic a été entendu récemment par les agents de l'IGPN. N'ayant pas touché ce qui lui était promis, il s'est mis à balancer et a confié avoir été le témoin, dans un hôtel parisien, de la vente de 1 kilo de cocaïne à des dealeurs par des flics.

lundi 23 février 2015

Allo j'écoute

Les écoutes réalisées hors la loi par des services de l’Etat sont monnaie courante. Pas vu, pas pris, grâce à une petite merveille de technologie : l'Imsi-catcher. Le fonctionnement de cette machine, qui tient dans une valise, repose sur un stratagème simple : l'appareil devient un vrai relais de téléphonie mobile et intercepte toutes communications qui sont à sa portée. Pas besoin de passer par les opérateurs. Aucune trace, aucun contrôle.
Le modèle de base ne sert qu'a identifier des numéros de téléphone, mais les plus perfectionnés (à plusieurs centaines de milliers d'euros l'unité) permettent de capter SMS, le contenu des conversations et le trafic Internet. La police judiciaire, les barbouzes, l'armée, la gendarmerie et les douanes ont droit à cette valise magique depuis quelques années. Ainsi, la DGSI (Renseignement intérieur) dispose d'une douzaine d'Imsi-catchers, dont plusieurs sont pourvus de toutes les options. Leurs propriétaires ont pris l'habitude de s'en servir à tort et à travers.

La Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) s'est émue de ces violations de la loi. Dans son dernier rapport annuel, le président Jean-Marie Delarue, demandait de manière obscur aux services de bien vouloir « mettre fin à toute pratique illégale ». Au nom du secret-defense, Delarue a refusé d'en dire davantage sur ces « pratiques », mais plusieurs spécialistes des écoutes se sont fait un plaisir de décrypter ses propos « Bien entendu, ce sont les Imsi-catchers qui sont visés par le président de la CNCIS. A ma connaissance, la Commission n'a jamais eu une preuve formelle de leur utilisation illégale, mais personne n'est dupe. Les services de renseignement présentent les informations qu'ils ont obtenues de la sorte comme des tuyaux qui auraient été balancés par de mystérieux informateurs. »
L'imsi-catcher n'a jamais été autorisé pour les écoutes administratives, car ce système est jugé bien plus attentatoire aux libertés qu'une interception téléphonique classique. Et pour cause : cette technologie permet non seulement d'écouter un suspect, mais aussi tous les téléphones utilisés par les personnes qui se trouvent dans les alentours. Les services du renseignement intérieur s'assoient pourtant sur cette interdiction. Sans grand risque de se faire pincer, car la CNCIS ne dispose quasiment d'aucun moyen humain ou technologique pour contrôler les Imsi-catchers en circulation. La Commission est d'autant plus désarmée qu'elle ne peut pas réclamer l'interdiction totale de ces mallettes magiques. Elles servent aussi légalement dans le cadre des écoutes judiciaires. Et elles rendent alors, sous le contrôle d'un juge, de précieux services. Par exemple, ils peuvent aider à retrouver des personnes séquestrées grâce à la géolocalisation très poussée offerte par cette technologie.
Petit bonus amusant, cette technologie donne également la possibilité d'identifier les « toc », ces « téléphones occultes » utilisés par certains suspects. Sarko en a fait les frais en 2013 : c'est un Imsa-catchers qui a permis de découvrir que l'ancien président se servait d'une ligne téléphonique ouverte au nom d'un Paul Bismuth...
Par pragmatisme, certains responsables politiques en sont réduits à demander la légalisation des écoutes administratives effectuées grâce à ces bijoux de technologie. Un rapport parlementaire remis en mai 2013 par les députés Jean-Jacques Urvoas (PS) et Patrice verchère (UMP) suggérait que leur utilisation reste « très exceptionnelle » et sois soumise au « contrôle continu d'une autorité extérieure ». Bien sur, c'est comme si c'était fait...

lundi 21 avril 2014

La chasse du trésor caché des trafiquants de CO2

L'arnaque à la TVA leur a rapporté 1,6 milliards, bien à l'abri dans des comptes à l'étranger.

L’État va-t-il réussir à récupérer une partie du 1,6 milliards d'euros volé par une équipe d'escrocs à la TVA ?. Le coup de maître de ces fraudeurs datent des années 2008-2009. Lorsque les entreprises s'échangeaient des quotas de CO2 (ou « droits à polluer »), les arnaqueurs achetaient des quantités de gaz carbonique hors TVA. Qu'ils revendaient à des boites en leur facturant la TVA. Bénéfice => 19,6%.
Lorsque l’État leur réclamait, comme l'exige la loi, le reversement de la TVA perçue, tout le monde s’étaient volatilisés. La combine ne fonctionne plus, mais depuis cinq ans, une dizaine de juges, à Paris, Lyon, Toulouse ou Marseille, dirigent plus de 20 enquêtes différentes, et s'épuisent à courir après l'argent volé. Les acteurs de cette arnaque savent où est le magot et se le disputent sans merci. Selon les enquêteurs, le meurtre ayant eu lieu le mardi 8 avril à Paris, de l'homme de main d'un joueur de poker est lié au joli monde des dealers de carbone. C'est le cinquième assassinat depuis 2010, disent-ils, qui mène à ce trafic. Mais pas au trésor. Il y a quelque mois, l'affaire « Crépuscule », du nom d'une boite intermédiaire dans les achats de CO2, a fait naître l'espoir de recouvrer de grosses sommes.
En octobre, à la suite d'un accord entre Israël et le France, une vaste descente policière a été lancée à Tel-Aviv et dans sa banlieue huppée. L'opération est ainsi justifiée dans une note interne du ministère de l'Intérieur : « Les faits prennent leur origine dans des détournements massifs de TVA sur les transactions de droits de pollution (préjudice estimé à 223 millions d'euros) et de matériel de téléphonie (2 millions). D'avril 2008 à mars 2009, la société de droit français de courtage Crépuscule a transféré près de 150 millions sur des comptes bancaires à l'étranger (Monténégro, Lettonie, Chypre, et surtout Hong-Kong) au nom de sociétés défaillantes. » Résultat de l'opération, des dizaines d'escrocs présumés ont été arrêtés, et certains se sont montrés très coopératifs, car une partie d'entre eux, une fois installés en Israël, se sont vus menacés et rackettés par la mafia locale, ultraviolente et dirigée par des parrains russes. L'affaire a un peu progressé en janvier, lorsqu'un des cerveaux de l'affaire s'est pointé à Roissy.
Cyril Astruc, dit « Poulet », dit « le Maigrichon », dit Alex Kahn (son pseudonyme en Israël), atterrit le 10 janvier en France, en transit pour Bruxelles : le juge belge Michel Claise a négocié son retour et la restitution de 5 millions d'euros sur les 72 qu'il est accusé d'avoir volés à la Belgique. Mais les Français, finauds, apprennent son arrivée. Astruc est également poursuivi en France. Les flics de l'Office central de lutte contre le crime organisé lui mettent tombe dessus, au nez et à la barbe des douaniers, également présents à l'aéroport. Ce sont ces derniers qui ont réalisé l'essentiel de l'enquête, sous l'autorité du juge parisien, et ils possèdent, contrairement à leurs collègues, un mandat d'arrêt. A cette guerre entre pays et entre services s'ajoute une bataille judiciaire : cinq juges, au moins, veulent entendre Astruc et profiter de ses lumières, toujours pour retrouver l'argent... Certes, lors de son arrestation, il était porteur d'une montre à 330 000 euros et d'un pendentif à 50 000 euros, plus quelques liasses de billets. Mais la prise est assez maigre. D'autres informateurs « repentis » pourraient profiter du programme de protection et d'anonymisation des témoins. Un dispositif extrêmement onéreux, puisqu'il faut fournir aux informateurs nouvelle identité, protection, logement, aide... S'ils coûtent plus cher à la justice qu'ils ne lui rapportent, ces artistes du CO2 ne manquent d'air.

vendredi 30 août 2013

Lutte ou pas contre le trafic de cigarettes

Les lobbys du tabac peuvent être rassurés, leurs intérêts sont bien gardés. Le 18 juillet au Sénat, un amendement socialiste a été rejeté : il portait sur la traçabilité des paquets de cigarettes. L'objectif est de lutter contre le trafic illicite de cigarettes. Mais l'idée dérange un peu les géants du tabac. Car, contrairement à ce que l'on pourrait croire, les ventes de cigarettes sous le manteau ne leur font pas vraiment de l'ombre : « Ce sont les fabricants qui organisent l'essentiel de ces filières pour éviter de payer les taxes » estime un expert. Les fausses Marlboro et autres contrefaçons ne représentent que 13% du commerce illicite. Le reste des clopes vendues au noir sont de vraies marques.
La preuve, en 2001, les quatre géants, Philip Morris, British American Tobacco, Imperial Tobacco et Japan Tobacco International ont été soumis à une enquête. Les services des fraudes de Bruxelles avaient démonté leurs filières parallèles. Des millions de paquets écoulés en douce. Après avoir déposé une plainte pénale de 150 pages devant la justice américaine, l'Union européenne avait préféré une aimable transaction à un retentissant procès : les fabricants ont dû sortir 1,9 milliard de dollars... depuis nos géants jouent les chevaliers blancs : Philip Morris (Marlboro) a mis en place son propre système de traçabilité, appelé Codentify. Mais les soupçons demeurent toujours. Japan Tobacco, qui fabrique notamment les Camel, a une nouvelle enquête sur le dos : il est soupçonné d'organiser une énorme contrebande en Syrie et au Moyen-Orient.
En décembre, le ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, dégaine son arme fatale. Le projet de loi de finances rectificative prévoit d'instaurer une marque d'identification unique, sécurisée et indélébile sur chaque paquet de cigarettes. La meilleur c'est que ce système de traçabilité sera mis en œuvre par les fabricants de tabac. « C'est comme si on confiait le contrôle de la viande de cheval à Spanghero », ricane un lobbyiste. L'enjeu est pourtant énorme. En France, les ventes illicites de cigarettes représentent chaque année pour le fisc 2 milliards de manque à gagner. Au Sénat, le socialiste Jean-Jacques Mirassou et neuf autres élus PS ont donc proposé un amendement pour remettre le futur système de traçabilité dans les mains de l'Etat. Mais l'amendement n'a pas fait long feu, l'Etat devrait du coup payer les 80 millions annuels que coûtera le système. « Au Brésil, l'industrie paie, mais les autorités contrôlent totalement la technologie et les données recueillies », explique Luk Joossens, spécialiste internationale du trafic de cigarettes. Et il s'étonne « La France a signé la convention cadre de l'OMS qui prévoit que le système de traçabilité doit être totalement indépendant des fabricants ».
Plus étonnant encore, 18 sénateurs UMP, parmi lesquels Gérard Longuet, ancien ministre de la Défense, ont carrément proposé d'annuler le projet de traçabilité. Attention argument de choc : la technique retenue excluait certains fournisseurs de technologies. Cependant aucune technologie n'est encore retenue... « Il y a un lobbying énorme des fabricants qui n'ont pas du tout envie qu'on vienne les contrôler. En leur laissant la main, Cahuzac a fait un énorme cadeau à Philip Morris, qui veut imposer son système Codentify. Or Philip Morris a pour cabinet de conseil August & Debouzy. Le hasard fait bien les choses, Gilles August est aussi l'avocat de Cahuzac. Tout de suite les soupçons de conflits d'intérêts se profilent...


Amitié de cigarettiers

Les cigarettiers s'y entendent pour entretenir l'amitié. En mai, la moitié des conseillers de Manuel Valls et de Pierre Moscovici ont été invités par British American Tobacco (le fabricant de Lucky Strike et de Dunhill) dans une loge privée à Roland-Garros. L'histoire a fait un tabac, d'autant qu'un autre invité avait pris place dans la tribune, entre petits-fours et rafraîchissement : Henri Havard, le numéro 2 des douanes. Le 28 mai encore, les fumeurs de havane Patrick Balkany, André Santini et une équipe de députés étaient immortalisés par les caméras de France 3 en train de se taper un bon restau avec une note à 10 000 euros au frais de British Tobacco. Et leur convive était Galdéric Sabatier, le numéro 3 des douanes. L'affaire n'a pas coûté trop cher à nos ripailleurs. Dans une note de service datée du 1er juillet, la directrice générale des Douanes informe ses équipes : le numéro 3 Galdéric Sabatier, sera désormais « chargé de mission » auprès de son propre bras droit. « C'est un placard, mais c'est encore trop gentil selon un douanier expérimenté. Quand il y a un soupçon pareil de conflit d'intérêts, les collègues sont normalement suspendus, avec enquête disciplinaire. ». Pas d'inquiétude pour le numéro 2 Henri Havard, toujours à son poste, qui sera simplement « déplacé » en septembre.

samedi 20 avril 2013

Faites vos jeux... Rien ne va plus



Pendant dix ans, l'Europe ne s'était pas aperçus que l'île était devenue une “économie casino”.


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Ces propos, tenus en privé par Martin Schulz, le président du parlement européen, expose bien la foire bruxelloise de ces dernières semaines.
Qui est responsible de ces dix jours decafouillage chypriote ?. Pour une fois, les dirigeants des autres pays de la zone euro sont d'accord : c'est le Néerlandais Jeroen Dijsselbloem, tout nouveau patron de l'Euro-groupe, qui réunit les ministres des Finances des 17 pays de l'Union monétaire. Le 15 mars, M.Dijsselbloem a fait adopter à grande vitesse le premier plan. En échange d'une aide de 7 milliards, le texte prévoyait une taxation de tous les dépôts bancaires chypriotes au taux de 6,75% en deçà de 100 000 euros et de 9,9% au-delà. Un plan que le président chypriote Nicos Anastasiades, a fait semblant d'accepter, en sachant parfaitement que son parlement le refuserait.
Du coup, lors des négociations autour du second plan, Dijsselbloem a été mis à l'écart. Les réunions ont été menées par la patronne du FMI, Christine Lagarde, Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, et Olli Rehn de la commission européenne. Une troïka qui, une fois son plan accepté par Chypre, l'a fait avaliser en pleine nuit, par les ministres de l'Euro-groupe. Sans doute blessé d'avoir ainsi été poussé en touche, le ministre hollandais a tenu à se mettre en avant dès le lendemain. Dans une interview au “Financial Times”, il a affirmé que Chypre représentait “un nouveau modèle” pour résoudre les crises bancaires en Europe. Effet de causalité immédiat : les valeurs financiaires s'effondraient alors que des bruits de couloirs sur une possible dégradation de la note de l'Italie contribuaient à aggraver la panique. Le ministre espagnol des Finances, Luis Guindos, s'y mettait à son tour, en expliquant qu'en cas d'échec du plan chypriote il pouvait y avoir “contagion” de la crise à d'autres pays de la zone euro. Faire porter le chapeau à ce ministre “novice” pour reprendre un qualificatif de Pierre Moscovici, présente un autre avantage : passer sous silence les responsabilités de la Commission européenne, de la BCE et de l'Euro-groupe dans le naufrage financier de Chypre. Ce n'est pas en une semaine que l'île s'est transformée en un paradis fiscal où sont réfugiés des capitaux mafieux.
Les européens, sous l'impulsion des Allemands, ont en tout cas atteint un premier objectif : ils ont rayé de la carte la place financière chypriote, où les dépôts bancaires atteignaient huit fois le PIB de l'île. Mais Chypre n'est pas seul en Europe. Comme le fait remarquer Hubert Faustmann (Le Monde 26/03), professeur à l'université de Nicosie : << de nombreux autres pays ont un secteur bancaire hypertrophié et fiscalement avantageux, comme l'Irlande, Malte, les Pays-Bas ou le Luxembourg, dont les banques possèdent vingt fois le PIB >>. mais il y a une différence importante : pendant près de quatorze ans, l'Euro-groupe a été présidé par Jean-Claude Juncker, le Premier ministre du Luxembourg. La morale financière était donc hautement garantie, et personne n'a encore eu l'idée de taxer les dépôts bancaires du Grand-Duché.


Les oligarques russes défendent leur machine à laver

Dans leur folie taxatrice, les autorités européenne ont notamment épargné deux banques bien particulières.
La première, Hellenic Bank, troisième banque de l'île, appartient à l'Eglise orthodoxe chypriote. Cette sainte institution est aussi le principale actionnaire du premier producteur de bière. La seconde, VTB, est une banque russe, semi-publique, qui gère les fonds des nombreuses sociétés proches du Kremlin. En s'installant à Nicosie, celles-ci ont pu bénéficier d'une fiscalité agréable et d'un laxisme important sur l'origine de leurs liquidités.
Le président Poutine et son premier ministre Medvedev, après avoir exprimé leur colère au lendemain de l'annonce du premier plan, ont depuis mis de l'eau dans leur vodka. Dès lundi matin, une fois connus les détails du second plan, la Russie a fait savoir qu'elle était prête à assouplir les conditions du prêt de 2,5 milliards d'euros qu'elle a accordé, il y a deux ans à Chypre. Tout en accompagnant cette déclaration du souhait de rapatrier ses capitaux baladeurs du côté de la Moskova. Ce qui n'est problablement pas demain la veille. Car malgré le sévère plan de rigeur imposé à l'île, Chypre restera un sympathique paradis fiscal : le taux de l'impôt sur les sociétés n'augmentera que de 2,5% pour atteindre 12,5%. En France, il s'élève à près de 35%. preuve que l'Europe fiscale avance aussi vite que l'Europe bancaire et monétaire.

lundi 29 octobre 2012

Passe ton BAC

De Marseille à Paris, et de flics à magistrats, l'avis est unanime : l'affaire de la BAC (Brigade Anticriminalité) nord ne fait que commencer. Si une demi-douzaine de policiers sont écroués, une trentaine d'autres sont soupçonnés de détournement de scellés, de racket, de vol de bijoux, d'argent et de produits stupéfiants. Certains d'entre eux auront même à répondre de corruption. Et peut-être d'homicide pour les mêmes et/ou d'autres encore. « Ce n'est pas impossible », reconnaissent plusieurs sources proches de l'enquête, qui ajoutent aussitôt : « Nous n'en sommes pas là ». Pas encore...
Mais l'IGPN (Inspection Général de la Police Nationale) va chercher à savoir si les ripoux n'auraient pas désigné à des bandes rivales certains dealers comme des informateurs de la police. Sur les 20 règlements de comptes entre trafiquants marseillais (20 morts en 2012), deux au moins intéressent les enquêteurs de l'IGPN. L'un a eu lieu cet été à Aix-en-Provence, l'autre au printemps dans les quartiers nord de la cité phocéenne. Le mode opératoire était identique : une rafale de kalachnikov. Une manière radicale et devenue courante d'éliminer les présumés bavards.

L'enquête l'a d'ores et déjà démontré : les policiers de la BAC nord sont impliqués dans l'essor de l'économie souterraine à Marseille, contre laquelle ils étaient sensés lutter. Des habitants d'une cité d'un quartier nord se sont adressés, au printemps dernier, auprès du préfet délégué à la sécurité, Alain Gardière. Ils avaient observé des allées et venues de voitures de police banalisées au bas des immeubles. Mais leurs occupants, plutôt que d'arrêter les trafiquants, venaient juste récupérer leur dîme. Le préfet Gardière a transmis l'information au responsable local de l'IGPN. Des micros ont alors été placés dans les véhicules d'intervention et dans les bureaux de la BAC nord. Très méfiants à l'égard du téléphone, les ripoux parlaient librement en voiture et au vestiaire. « Ces écoutes sont accablantes », assure Jacques Dallest, le procureur de la République.

Le 8 octobre, le ministre de l'intérieur, Manuel valls, a prié Gardère de lui rendre visite. Il tenait à savoir « qui était au courant, et jusqu'à quel niveau la hiérarchie policière est impliquée ». on peut le comprendre : il vient de recruter Pascal Lalle comme directeur central de la Sécurité publique. Il y a peu encore, le même Lalle dirigeait les BAC des Bouches-du-Rhône. « Lalle ne savait rien », assure un haut fonctionnaire en poste à Marseille. « les bacqueux n'étaient ni dirigés ni surveillés. Ni par lui, ni par un autre. Ils fonctionnaient en totale autonomie. » « Certains d'entre eux étaient en poste depuis plus de quinze ans et bloquaient toutes démarches ou propositions d'évolution de carrière. Comme s'ils étaient liés à la BAC nord par un bail commercial. Lorsqu'on leur suggérait d'aller voir ailleurs, ils répondaient qu'ils étaient la mémoire du service, aussi indispensable qu'irremplaçables. Et la hiérarchie s'écrasait ».
Et ce d'autant que la BAC nord savait donner le change. Lorsque la pression politico-médiatique était trop forte pour détourner l'attention, ils faisaient un joli coup de filet. Comme débusquer une miraculeuse planque de kalachnikovs. Lorsque la pression retombait, ils retournaient à leurs petites affaires.

Les ripoux se faisaient « autour de 1 000 euros par mois, estime un enquêteur. « Sur écoute, on n'a un mec qui, arrivant le matin au bureau, raconte s'être fait engueuler par sa femme : le congélateur familial était foutue. Les collègues lui disent : Ben tiens ! Tape 1 000 euros dans la caisse ». C'est aussi simple que ça.