vendredi 21 juillet 2017

En route avec Macron

Un accord secret, que Bercy se refuse toujours à publier, offre plusieurs milliards de cadeaux aux sociétés du réseau autoroutier français.

Les heureux vacanciers s'élançant sur l'autoroute ne s'en doutent pas : les dernières hausses de tarifs de péage qu'ils ont pu s'acquitter résultent d'un impressionnant bas de fer disputé, au printemps 2015, entre l'Etat et les géants du BTP. Le premier, représenté par le ministre de l’Écologie et de l’Économie de l'époque, respectivement Ségolène Royal et Emmanuel Macron, réclamait un vaste programme de travaux. Les seconds exigeaient, à différents niveaux, des compensations financières. Au final, la victoire de ces derniers (qui se chiffre en milliards) est si écrasante que l'accord signé entre les deux parties est resté secret jusqu'à très récemment.
Un accord tellement sensible que, malgré la validation de la Commission d'accès aux documents administratifs (juillet 2015), confirmé par le tribunal administratif (juillet 2016), Bercy s'oppose toujours de le publier et a saisi le Conseil d'Etat en qualifiant l'accord de « protocole transactionnel » confidentiel. Hélas pour les nouveaux résidents de Bercy, l'accord a fuité et on peut constater le tapis rouge déroulé (une nouvelle fois) aux sociétés d'autoroutes.
Tout d'abord, aux termes de l'accord, ces sociétés bénéficient d'une clause de « stabilité fiscale » leur garantissant de pouvoir continuer de déduire de leur bénéfice imposable tous leurs intérêts d'emprunt. Pour toute autre société, la déduction ne dépasse pas les 60% desdits intérêts. Gains engrangés pour la seule année 2015 : 170 millions d'euros. Et cette clause est applicable jusqu'à la fin des concessions, prévue, selon les axes concernés, entre 2031 et 2096.
Second cadeau, les concessionnaires, appelés à supporter eux-mêmes une augmentation de 100 millions par an de la taxe d'occupation domaniale, sont autorisés à la faire payer aux usagers sous la forme d'augmentation des tarifs de péage. Comme cela, tout le monde participe.
Troisième don, les autoroutiers sont royalement dédommagés du gel des tarifs des péages d'un an décidé, début 2015 par Ségolène Royal. Entre 2019 et 2023, ils vont récupérer non seulement le manque à gagner mais, en plus, un bonus de 500 millions. Selon les calculs de l'Arafer (l'organisme public de supervision des autoroutes), l'intérêt de retard appliqué à ce rattrapage est d'environ 10%.
Quatrième offrande, l'accord fixe aussi le montant des compensations obtenues par les sociétés pour réaliser les 3,2 milliards de travaux du « plan de relance autoroutier » décidé en 2015. Or l'Arafer a pointé « des écarts de prix » importants entre le coût des travaux annoncé par les sociétés d'autoroutes et leur coût réel. On devine assez facilement en faveur de quelle partie concernée par l'accord. Par ailleurs, « un niveau élevé » de ces travaux surfacturés est attribué par les autoroutiers aux groupes de BTP dont ils dépendent. En contrepartie de ces caresses dans le sens du poil, et également pour compenser partiellement la suppression de l'écotaxe par Royal, les autoroutiers devront verser une « contribution volontaire » annuelle d'environ 50 millions sur vingt ans. Cela est sensé financer le développement des infrastructures de transports. De grands seigneurs ces sociétés d'autoroute.

Comment un accord aussi catastrophique pour les finances publiques et les usagers du réseau autoroutier français, a pu voir le jour. Un flashback est nécessaire. Le 17 septembre 2014, un rapport de l'Autorité de la concurrence braque les projecteurs sur les sociétés d'autoroutes. Il évalue le bénéfice net de ces sociétés à 24% de leur chiffre d'affaires.
Quelques semaines plus tard, une mission parlementaire conduite par le député Jean-Paul Chanteguet, propose la renationalisation des autoroutes. Une opération tellement onéreuse (on parle d'environ 40 milliards) que personne n'y croit vraiment. Mais il faut bien apaiser l'opinion publique. Ségolène Royal propose alors une série de mesures, dont la gratuité des autoroutes le week-end. Au final, il est décidé en janvier 2015, de ne pas appliquer la hausse des péages prévue au 1er avril.
Mais il y a un soucis, cette mesure est totalement illégale et les autoroutiers déposent des recours en justice qu'ils sont certains d'être statués en leurs faveur. Plus grave encore, ils menacent de renoncer aux 3,2milliards de travaux qu'ils s'étaient engagés à mener en échange d'un allongement de quelques années de la durée des concessions. Une catastrophe pour le gouvernement, qui voit dans ce « plan de relance autoroutier » le moyen de redresser le secteur sinistré du BTP ( plus de 10 000 emplois perdus en trois ans). Apaiser les esprits devient une priorité pour Bercy.
En février 2015, une négociation est entamée avec les directeurs généraux des cinq principales sociétés d'autoroutes. Elle se déroule dans les pires conditions. Pierre Cardo, alors président de l'Arafer résume la réunion : « L'Etat n'avait aucun volonté de mener une vraie négociation et n'avait aucune stratégie. Les sociétés d'autoroutes, filiales des grandes boites du BTP, avaient au contraire une grande force de persuasion avec leur puissance financière et leur chantage à l'emploi ». L'Etat s'est bien fait rouler et dépouiller au péage.