dimanche 23 mai 2010

Le passé nous rattrape

C'est une histoire de sous-marins, de sacs de biftons et de campagne électorale. Une histoire qui remonte à quinze ans, et qui refait surface aujourd'hui. On y retrouve des personnalités bien connus, au premier rang Balladur, Premier ministre à l'époque, et de Sarkozy, son ministre du budget. Cela tombe très bien, c'est une histoire de gros sous. On parlait alors en francs je le rappel. La France venait de promettre au Pakistan trois magnifiques sous-marins, pour la modique somme de 5,41 milliards. Ce genre de marché, on le sait, se gagne en graissant largement des pattes. En 1992, la très officielle DCN (Direction des Constructions Navales) avait fait en sorte qu'une officine spécialisée empoche 6,25% du marché pour amadouer les décideurs pakistanais. On ose imaginer les millions à distribuer...
Mais voilà qu'en 1994, raconte Libération (26/04/1994) documents à l'appui, le gouvernement Balladur se mêle de l'affaire, impose qu'une commission supplémentaire de 4% soit versée à deux intermédiaires amis de la société Mercor Finance, en théorie pour mieux corrompre mieux encore les acheteurs pakistanais. Soit 216 millions de francs de dessous de table... dont la société Mercor Fiance, les documents le prouvent, a touché au moins le quart avant que Chirac, élu président en 1995, ne stoppe carrément ces versements, anti-balladurisme oblige.
Cette histoire d'argent noir ne serait que bêtement consternante si un drame et un gag ne venaient en rehausser l'intérêt. En mai 2002, à Karachi, un kamikaze fait exploser un bus rempli de salariés et ingénieurs qui travaillaient à la construction des fameux sous-marins : 14 morts, dont 11 Français. Depuis la justice s'interroge sérieusement : cet attentat terroriste est-il lié à l'arrêt du versements des commissions ? Peu d'éléments probants pour l'instant. Quant au gag... Au moment où les intermédiaires empochent les 54 millions de commissions, l'association qui finance la campagne électoral de Balladur empoche d'un coup un peu plus de 10 millions en liquide. Un document envoyé en février dernier à l'avocat des familles des salariés tués à Karachi le prouve : c'est sous la forme de quatre sacs emplis en grande partie de biftons de 500F que cette belle offrandes a atterri dans les locaux du Crédit du Nord, qui gérait le compte de campagne balladurien, trois jours après la cinglante défaite de Balladur au premier tour.
Les militants balladuriens avaient beau n'être pas désargentés, difficile de croire que lors des meetings, ils ne donnaient à leur candidat que des grosses coupures... D'ailleurs, interrogé le 26 avril par Mediapart, René GalyDejean, alors trésorier de la campagne de Balladur, affirme : « Cela ne me dit rien. Une telle somme, tout de même, je ne l'aurais pas oubliée. » Mais alors d'où vient tout cet argent ? S'insurgeant qu'on puisse le soupçonner d'avoir organisé un système de rétrocommissions, Balladur s'est expirmé le mardi 27 avril dans une tribune du Figaro. Sa défense est simple : « je n'y suis pour rien, le financement de ma campagne est tout ce qu'il y a de plus légal et validé par le Conseil constitutionnel, jamais je n'ai reçu une rétrocommissions. » Belle réplique mais qui laisse intacte la question : d'où viennent encore une fois ces gros biftons ?. Ces fameux quatre sacs dûment attestés par un document bancaire du Crédit du Nord ?
Certains avancent une hypothèse : s'ils ne viennent pas de rétrocommissions liées aux sous-marins vendus au Pakistan, c'est qu'ils viennent d'ailleurs. Et si Balladur reste muet sur leur provenance, c'est que celle-ci est difficilement avouable. Et de quels fonds a-t-on du mal à parler dans ce contexte de financement de campagne présidentielle ? Des fonds secrets auxquels avait alors légalement droit tout Premier ministre. Mais reconnaître les avoir utilisés pour financer une campagne électorale, ça la place un peu mal...
Et puis tout ça c'est de l'histoire ancienne non ? Cette histoire de ventes d'armes, de corruption orchestrée au plus haut niveau, d'intermédiaires pas nets, de commissions et de rétrocommissions ne pourrait plus avoir lieu aujourd'hui, puisque de très officielles instances s'assurent que les engins de mort que nous vendons légalement à l'étranger (et 2010 est une excellent année) ne s'accompagnent que de dessous de tables très raisonnables et parfaitement éthiques. Pour résumé, tout va bien dans le meilleur des mondes surarmés...

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