lundi 12 janvier 2009

Au menu de la formation des élus

C’est la loi : les 550 000 élus locaux ont droit à une formation adaptée à leurs fonctions, pour les aider à remplir leur mandat. Les mairies, communautés urbaines, conseils généraux et régionaux y consacrent chaque année, pour chaque élu, de quelques dizaines euros dans les petites communes à près de 5000 dans les assemblées les plus riches. Au total, ces budgets représentent plusieurs dizaines de millions, mais aucun chiffre précis n’est disponible. Cette formation est censée enseigner aux élus les rudiments des finances publiques, les joies du code des marchés ou les arcanes des règlements d’urbanisme. Quelque 165 sociétés et associations agréées par le ministre de l’Intérieur se partagent se fleurissant marché. Certaines entreprises assurent un vrai travail, mais d’autres, plus ou moins bidon, servent avant tout de pompe à fric. Et enrichissent un peu plus des partis qui bénéficient déjà du financement de l’Etat. Ce n’est pas un hasard si du FN à la LCR, tous les mouvements politiques se sont dotés de leurs propres instituts de formation. Parfois, les programmes de travail se résument à l’organisation de gueuletons entre amis ou au remboursement de petits séjours au soleil. Qui soutiendra que l’on se forme bien le ventre vide et sous la pluie ?

Le 9 décembre, une rude soirée de travail attend 24 élus UMP de Paris dans un salon du Procope, restaurent historique du quartier de l’Odéon. Réunis pour une session de formation sur le développement des universités, les conseillers de Paris et ceux des arrondissements présents mettent les bouchées doubles. Au programme de cette studieuse assemblée : apéritif, homard, médaillon de veau aux petits légumes et omelette norvégienne. Chaque repas a été payé 90 euros au restaurent. Puis aussitôt refacturée 500 euros à l’Hôtel de Ville sous le beau nom de « formation ». Ce qui oblige, amusant paradoxe, un maire de Gauche à arroser un parti de droite. Un bénéfice net d’environ 9000 euros pour une association crée et dirigée par le parti de Sarkozy.
Pour sauver les apparences, trois personnes membres ou sympathisants de l’UMP avaient été invitées au Procope, histoire de prononcer deux mots sur la politique universitaire. Parmi elles, la ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Pécresse, qui est aussi candidate à la tête de liste UMP pour les régionales en Ile-de-France. Très occupée, elle s’est contentée de passer une demi-heure au restaurant pour discuter de ses projets avec ses petits camarades. Présent également, l’ex-président de Paris-IV-Sorbonne, Jean-Robert Pitte, ne s’est pas davantage attardé. Seul son collègue de Paris-Dauphine, Laurent Batsch, est resté à table de l’apéro au pousse-café.
L’UMP Paris n’en n’est pas à son premier gueuleton du genre. Depuis les municipales de mars dernier, les élus se sont ainsi formé les papilles en rencontrant autour d’une assiette bien garnie l’ancien patron de l’opéra Hugues Gall, la présidente de la chambre de commerce de Paris, Geneviève Roy, et le préfet de police Michel Gaudin. Les factures, payées par la ville vont de 200 à 600 euros par convive.
Le banquet avec le préfet de police qui s’est tenu le 23 octobre dernier a été plus difficile à digérer. Après avoir reçu la facture, l’équipe Delanoë a en effet émis quelques doutes sur la réalité de ce « séminaire de formation » qui se résumait un souper en compagnie d’un haut fonctionnaire de la république. Pour amadouer une administration tatillonne et obtenir le remboursement des frais, l’UMP a donc imaginé et imprimé, après coup, « un programme de travail » hautement fantaisiste.

Côté socialistes, c’est le Centre de formation Condorcet qui est supposé enseigner le métier de l’élu. Une journée de travail est même organisée tous les ans à la Rochelle, la veille de l’université d’été du parti. Cette session d’études connaît une remarquable affluence. De nombreux élus s’inscrivent mais sèche les cours, ils se contentent de se faire rembourser leurs frais de transports et d’hébergement avec les crédits de formation de leur mairie ou de leur conseil général. Certains courants du PS se sont même dotés de leur propre centre de formation pour mieux financer leurs activités. Le royaliste Vincent Peillon, fondateur de l’Institut Edgar-Qui-Net le reconnaît ouvertement : « Cela peut permettre de faire fonctionner un club de réflexion. Cette activité, que j’ai arrêtée, a d’ailleurs laissé un petit bénéfice dans les caisses de mon institut.»
Au parti communiste, le Cidef assure la formation de plus de 2000 élus chaque année, pour des tarifs qui varient de 78 à 856 euros la journée, selon la taille des collectivités locales. L’argent versé par les mairies permet de financer une partie de la propagande du Parti. C’est-à-dire de « former » à la fois l’élu et l’électeur.

Officine qui terrorise des grands patrons

Selon le registre du commerce, Salamandre n’est qu’une minuscule société dont l’activité consiste à prodiguer à ses clients des « conseils » pour les affaires et la gestion. Emploie une poignée de salariés et un chiffre d’affaires plutôt modeste, autant qu’on puisse en juger, puisque ses dirigeants ne déposent plus leurs comptes au registre du commerce depuis 4 ans. Pourtant ce seul nom de Salamandre fait frémir bon nombre de pédégés et dirigeants d’entreprises, et pas n’importe lesquels, on parle là du gratin du CAC 40.
Comment cette étrange officine peut-elle ainsi semer la panique chez nos fiers et puissants capitaines d’industrie? Elle est dirigée par Pierre Sellier qui se fait volontiers passer pour un ancien des services de renseignement, avec lesquels il entretient des relations troubles et suivies. Sa société compte dans son conseil d’administration deux anciens de la DGSE*, François Mermet, ex-directeur général et Michel Lacarrière, ex-directeur du Renseignement.
Et Sellier collabore avec une sorte d’association, Les Arvernes, qui, comme Salamandre, s’est fixé pour tâche de défendre les entreprises touchant à la sécurité nationale française et européenne. Les Arvernes seraient une cinquantaine, pour la plupart des militaires en activité ou à la retraite. Affirmations invérifiables. En revanche, les actions de lobbying, de déstabilisations, les menaces même, sont bien réelles. Voici une histoire récente qui montre de quelle manière Salamandre et Les Arvernes défendent la patrie en danger.


Lundi 8 décembre 2008, la journée commence mal pour Michel Calzaroni. Le « communicant » de quelques-uns des plus grands patrons du CAC 40 vient de recevoir un courriel. Lequel concerne la société Atos, l’une des plus grosses boîtes françaises de services informatiques, pour laquelle « Calza » travaille depuis plusieurs années. Elle est dirigée, depuis un mois par l’ex-ministre de l’Economie Thierry Breton. Ce courrier électronique est un avertissement sans ambiguïté : « Je te recommande à titre amical de te barrer (d’atos) car il va y avoir du sang sur les murs.» Signataire : Pierre Sellier. La réputation du patron de Salamandre est telle que Calzaroni ne rigole pas du tout. « Trop dangereux pour porter plainte » confie-t-il.
A peine nommé en novembre dernier à la tête d’Atos, Thierry Breton reçoit des nouvelles des Arvernes. Par l’intermédiaire de son avocat, l’association a déposé plainte contre X, le 1er décembre, pout « tentative de corruption et abus de biens sociaux » auprès du procureur de Paris. La plainte vise en fait deux fonds américains, Centaurus et Pardus, actionnaires d’Atos à hauteur de 16%. Les Arvernes soupçonnent ces investisseurs sournois de vouloir démanteler le joyau informatique français.
« 60% des transactions par carte bancaire passent par les serveurs d’Atos, explique Pierre Sellier. Ils exploitent les radars automatiques. Ils ont eu le passeport biométrique et auront bientôt la carte d’identité électronique. Nous voulons empêcher que les actifs stratégiques d’Atos quittent la France. Pour cela, il faut virer Breton et mettre un industriel de confiance.» Sellier a d’ailleurs son candidat, « agréée par la Sécurité nationale et par l’Elysée». Lequel change au fil du temps : une fois, il s’agit du responsable informatique d’une grande banque, un autre jour, c’est l’amiral Lanxade de 74 ans, puis Dominique de Villepin. « Nous avons rien à voir avec Sellier », a assuré Claude Guéant secrétaire général de l’Elysée.
De quoi s’interroger. Car la stratégie du patron de Salamandre échappe au sens commun. Il avait d’abord proposé ses services à Atos. Le 31 mars 2008, il écrivait à Philippe Germond, alors patron de la boîte, pour l’aider à « décourager les deux fonds activistes qui manifestement l’embêtent ». Son offre étant restée sans réponse, il propose, le 26 avril 2008, ses bons conseils à l’autre camp, le fonds américains Pardus, qu’il met en garde contre les mensonges des dirigeants d’Atos. Ces vauriens utilisent, assure-t-il un « argument douteux : Atos est un joyau franco-européen dont les fons étrangers tentent de prendre le contrôle », presque mot pour mot la thèse défendue par Sellier lui-même. Comment expliquer ce double jeu ? Par la recherche de nouveaux contrats ? « Dans les deux cas, nous avons agi dans le sens de l’intérêt national.» rajoute Sellier.

* Direction générale de la sécurité extérieure