Un
accord secret, que Bercy se refuse toujours à publier, offre
plusieurs milliards de cadeaux aux sociétés du réseau autoroutier
français.
Les
heureux vacanciers s'élançant sur l'autoroute ne s'en doutent pas :
les dernières hausses de tarifs de péage qu'ils ont pu s'acquitter
résultent d'un impressionnant bas de fer disputé, au printemps
2015, entre l'Etat et les géants du BTP. Le premier, représenté
par le ministre de l’Écologie et de l’Économie de l'époque,
respectivement Ségolène Royal et Emmanuel Macron, réclamait un
vaste programme de travaux. Les seconds exigeaient, à différents
niveaux, des compensations financières. Au final, la victoire de ces
derniers (qui se chiffre en milliards) est si écrasante que l'accord
signé entre les deux parties est resté secret jusqu'à très
récemment.
Un
accord tellement sensible que, malgré la validation de la Commission
d'accès aux documents administratifs (juillet 2015), confirmé par
le tribunal administratif (juillet 2016), Bercy s'oppose toujours de
le publier et a saisi le Conseil d'Etat en qualifiant l'accord de
« protocole transactionnel » confidentiel. Hélas pour
les nouveaux résidents de Bercy, l'accord a fuité et on peut
constater le tapis rouge déroulé (une nouvelle fois) aux sociétés
d'autoroutes.
Tout
d'abord, aux termes de l'accord, ces sociétés bénéficient d'une
clause de « stabilité fiscale » leur garantissant de
pouvoir continuer de déduire de leur bénéfice imposable tous leurs
intérêts d'emprunt. Pour toute autre société, la déduction ne
dépasse pas les 60% desdits intérêts. Gains engrangés pour la
seule année 2015 : 170 millions d'euros. Et cette clause est
applicable jusqu'à la fin des concessions, prévue, selon les axes
concernés, entre 2031 et 2096.
Second
cadeau, les concessionnaires, appelés à supporter eux-mêmes une
augmentation de 100 millions par an de la taxe d'occupation
domaniale, sont autorisés à la faire payer aux usagers sous la
forme d'augmentation des tarifs de péage. Comme cela, tout le monde
participe.
Troisième
don, les autoroutiers sont royalement dédommagés du gel des tarifs
des péages d'un an décidé, début 2015 par Ségolène Royal. Entre
2019 et 2023, ils vont récupérer non seulement le manque à gagner
mais, en plus, un bonus de 500 millions. Selon les calculs de
l'Arafer (l'organisme public de supervision des autoroutes),
l'intérêt de retard appliqué à ce rattrapage est d'environ 10%.
Quatrième
offrande, l'accord fixe aussi le montant des compensations obtenues
par les sociétés pour réaliser les 3,2 milliards de travaux du
« plan de relance autoroutier » décidé en 2015. Or
l'Arafer a pointé « des écarts de prix » importants
entre le coût des travaux annoncé par les sociétés d'autoroutes
et leur coût réel. On devine assez facilement en faveur de quelle
partie concernée par l'accord. Par ailleurs, « un niveau
élevé » de ces travaux surfacturés est attribué par les
autoroutiers aux groupes de BTP dont ils dépendent. En contrepartie
de ces caresses dans le sens du poil, et également pour compenser
partiellement la suppression de l'écotaxe par Royal, les
autoroutiers devront verser une « contribution volontaire »
annuelle d'environ 50 millions sur vingt ans. Cela est sensé
financer le développement des infrastructures de transports. De
grands seigneurs ces sociétés d'autoroute.
Comment
un accord aussi catastrophique pour les finances publiques et les
usagers du réseau autoroutier français, a pu voir le jour. Un
flashback est nécessaire. Le 17 septembre 2014, un rapport de
l'Autorité de la concurrence braque les projecteurs sur les sociétés
d'autoroutes. Il évalue le bénéfice net de ces sociétés à 24%
de leur chiffre d'affaires.
Quelques
semaines plus tard, une mission parlementaire conduite par le député
Jean-Paul Chanteguet, propose la renationalisation des autoroutes.
Une opération tellement onéreuse (on parle d'environ 40 milliards)
que personne n'y croit vraiment. Mais il faut bien apaiser l'opinion
publique. Ségolène Royal propose alors une série de mesures, dont
la gratuité des autoroutes le week-end. Au final, il est décidé en
janvier 2015, de ne pas appliquer la hausse des péages prévue au
1er avril.
Mais
il y a un soucis, cette mesure est totalement illégale et les
autoroutiers déposent des recours en justice qu'ils sont certains
d'être statués en leurs faveur. Plus grave encore, ils menacent de
renoncer aux 3,2milliards de travaux qu'ils s'étaient engagés à
mener en échange d'un allongement de quelques années de la durée
des concessions. Une catastrophe pour le gouvernement, qui voit dans
ce « plan de relance autoroutier » le moyen de redresser
le secteur sinistré du BTP ( plus de 10 000 emplois perdus en trois
ans). Apaiser les esprits devient une priorité pour Bercy.
En
février 2015, une négociation est entamée avec les directeurs
généraux des cinq principales sociétés d'autoroutes. Elle se
déroule dans les pires conditions. Pierre Cardo, alors président de
l'Arafer résume la réunion : « L'Etat n'avait aucun
volonté de mener une vraie négociation et n'avait aucune stratégie.
Les sociétés d'autoroutes, filiales des grandes boites du BTP,
avaient au contraire une grande force de persuasion avec leur
puissance financière et leur chantage à l'emploi ». L'Etat
s'est bien fait rouler et dépouiller au péage.