Les
lobbys du tabac peuvent être rassurés, leurs intérêts sont bien
gardés. Le 18 juillet au Sénat, un amendement socialiste a été
rejeté : il portait sur la traçabilité des paquets de
cigarettes. L'objectif est de lutter contre le trafic illicite de
cigarettes. Mais l'idée dérange un peu les géants du tabac. Car,
contrairement à ce que l'on pourrait croire, les ventes de
cigarettes sous le manteau ne leur font pas vraiment de l'ombre :
« Ce sont les fabricants qui organisent l'essentiel de ces
filières pour éviter de payer les taxes » estime un expert.
Les fausses Marlboro et autres contrefaçons ne représentent que 13%
du commerce illicite. Le reste des clopes vendues au noir sont de
vraies marques.
La
preuve, en 2001, les quatre géants, Philip Morris, British American
Tobacco, Imperial Tobacco et Japan Tobacco International ont été
soumis à une enquête. Les services des fraudes de Bruxelles avaient
démonté leurs filières parallèles. Des millions de paquets
écoulés en douce. Après avoir déposé une plainte pénale de 150
pages devant la justice américaine, l'Union européenne avait
préféré une aimable transaction à un retentissant procès :
les fabricants ont dû sortir 1,9 milliard de dollars... depuis nos
géants jouent les chevaliers blancs : Philip Morris (Marlboro)
a mis en place son propre système de traçabilité, appelé
Codentify. Mais les soupçons demeurent toujours. Japan Tobacco, qui
fabrique notamment les Camel, a une nouvelle enquête sur le dos :
il est soupçonné d'organiser une énorme contrebande en Syrie et au
Moyen-Orient.
En
décembre, le ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, dégaine son arme
fatale. Le projet de loi de finances rectificative prévoit
d'instaurer une marque d'identification unique, sécurisée et
indélébile sur chaque paquet de cigarettes. La meilleur c'est que
ce système de traçabilité sera mis en œuvre par les fabricants de
tabac. « C'est comme si on confiait le contrôle de la viande
de cheval à Spanghero », ricane un lobbyiste. L'enjeu est
pourtant énorme. En France, les ventes illicites de cigarettes
représentent chaque année pour le fisc 2 milliards de manque à
gagner. Au Sénat, le socialiste Jean-Jacques Mirassou et neuf autres
élus PS ont donc proposé un amendement pour remettre le futur
système de traçabilité dans les mains de l'Etat. Mais l'amendement
n'a pas fait long feu, l'Etat devrait du coup payer les 80 millions
annuels que coûtera le système. « Au Brésil, l'industrie
paie, mais les autorités contrôlent totalement la technologie et
les données recueillies », explique Luk Joossens, spécialiste
internationale du trafic de cigarettes. Et il s'étonne « La
France a signé la convention cadre de l'OMS qui prévoit que le
système de traçabilité doit être totalement indépendant des
fabricants ».
Plus
étonnant encore, 18 sénateurs UMP, parmi lesquels Gérard Longuet,
ancien ministre de la Défense, ont carrément proposé d'annuler le
projet de traçabilité. Attention argument de choc : la
technique retenue excluait certains fournisseurs de technologies.
Cependant aucune technologie n'est encore retenue... « Il y a
un lobbying énorme des fabricants qui n'ont pas du tout envie qu'on
vienne les contrôler. En leur laissant la main, Cahuzac a fait un
énorme cadeau à Philip Morris, qui veut imposer son système
Codentify. Or Philip Morris a pour cabinet de conseil August &
Debouzy. Le hasard fait bien les choses, Gilles August est aussi
l'avocat de Cahuzac. Tout de suite les soupçons de conflits
d'intérêts se profilent...
Amitié de
cigarettiers
Les
cigarettiers s'y entendent pour entretenir l'amitié. En mai, la
moitié des conseillers de Manuel Valls et de Pierre Moscovici ont
été invités par British American Tobacco (le fabricant de Lucky
Strike et de Dunhill) dans une loge privée à Roland-Garros.
L'histoire a fait un tabac, d'autant qu'un autre invité avait pris
place dans la tribune, entre petits-fours et rafraîchissement :
Henri Havard, le numéro 2 des douanes. Le 28 mai encore, les fumeurs
de havane Patrick Balkany, André Santini et une équipe de députés
étaient immortalisés par les caméras de France 3 en train de se
taper un bon restau avec une note à 10 000 euros au frais de British
Tobacco. Et leur convive était Galdéric Sabatier, le numéro 3 des
douanes. L'affaire n'a pas coûté trop cher à nos ripailleurs. Dans
une note de service datée du 1er juillet, la directrice générale
des Douanes informe ses équipes : le numéro 3 Galdéric
Sabatier, sera désormais « chargé de mission » auprès
de son propre bras droit. « C'est un placard, mais c'est encore
trop gentil selon un douanier expérimenté. Quand il y a un soupçon
pareil de conflit d'intérêts, les collègues sont normalement
suspendus, avec enquête disciplinaire. ». Pas d'inquiétude
pour le numéro 2 Henri Havard, toujours à son poste, qui sera
simplement « déplacé » en septembre.