Renault voulait étouffer l’affaire d’espionnage en douceur. C’est ce qu’affirment les agents de la DCRI, dans une note de deux pages adressée à Brice Hortefeux. Elle a été rédigée le 7 janvier, à la suite de la rencontre d’un sous-directeur du service de contre-espionnage avec des dirigeants de Renault. Egalement destinataire de cette note, le ministre de l’Industrie, Eric Besson, a fait passé un sale quart d’heure vendredi, au numéro 2 du groupe, Patrick Pélata. « Ça a été viril », affirme un témoin.
Le ministre était particulièrement énervé d’avoir été baladé trois jours auparavant, lors de sa longue visite au technopôle de Renault, à Guyancourt. Les futures voitures électriques du groupe lui avaient alors été présentées, mais personne ne lui avait soufflé un mot sur l’affaire des fuites. Ils avaient pourtant pris soin, lundi, veille de la visite, de virer en express les trois hauts cadres soupçonnés d’espionnage. Pour éviter de les retrouver en photo à côté du ministre ?. L’adjoint du directeur du projet « Véhicule électrique » de Renault, qui fait partie des suspects, aurait en effet dû accueillir Besson. On imagine la tête du ministre s’il avait appris, quelques semaines plus tard, que sa visite avait peut-être été cornaquée par un dangereux espion.
C’est le refus d’un des cadres de se laisser expulser tranquillement de son bureau, et cela devant des centaines de collègues, qui a contraint Renault à révéler l’affaire dans un communiqué, mercredi 5 janvier. Le ministre lui n’a été prévenu que deux heures avant la publication par Patrick Pélata. L’Etat détient pourtant 15 % du capital du groupe. « Renault a passé son temps à faire de la rétention d’informations. On a l’impression qu’ils ont cherché à nous enfumer », soupire un connaisseur du dossier. « Ils voulaient clairement étouffer l’affaire en interne par une transaction amiable ». Comme la bonne vieille tradition des banques. Quand un employé indélicat se fait prendre, on le vire en douceur pour ne pas ternir la réputation de la maison…
Lorsque les dirigeants du groupe ont découvert l’affaire fin août, grâce à la dénonciation d’un autre salarié, ils ont saisi une officine privée, dont Renault refuse de donner le nom. Selon la note de la DCRI, cette enquête privée a révélé que deux des cadres avaient ouvert des comptes en suisse et au Liechtenstein. Lesquels avaient été alimentés par un producteur chinois d’électricité à hauteur de 130 000 euros pour l’un et de 500 000 euros pour l’autre, comme l’a écrit « Le Figaro » le 11 janvier. Un troisième cadre aurait bénéficié d’un versement mensuel de 5000 euros.
Pour justifier ce mutisme étonnant, un cadre de Renault explique : « Le groupe veut s’implanter en Chine, où, contrairement aux constructeurs mondiaux, il est absent. Dénoncer bruyamment une affaire d’espionnage industriel n’aurait pas été la meilleure manière d’entamer une négociation. »