Vraiment stupéfiant le tour qu'ont réussi les juristes : la suppression du bouclier fiscal pourrait se heurter à un obstacle juridique que certains experts qualifient de quasi insurmontable. Réclamée par la gauche depuis sa création, souhaitée depuis peu par une partie de la droite, la mise à mort de ce fameux bouclier risque d'être déclarée contraire, tenez-vous prêt, à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, texte qui a aujourd'hui valeur constitutionnelle. Ce coup de maitre a été réfléchis bien des années antérieures.
En 2005, Villepin est premier ministre et Copé ministre du budget, mettent au point une première version de ce dispositif sans dire qu'il aura pour principal effet de supprimer, pour un grand nombre de contribuables, l'impôt de solidarité sur la fortune. Il s'agit de limiter à 60% des revenus le montant des impôts directs qui peuvent être réclamés à un particulier. Aussitôt, la Gauche monte au créneau et, e, décembre 2005, une centaine de parlementaires saisissent le Conseil constitutionnel pour lui demander de censurer cette loi, qu'ils accusent de « violer le principe de l'égalité des contribuables devant les charges publiques ». La réponse du Conseil n'est pas exactement celle qu'ils attendaient.
Non seulement le bouclier fiscal n'est pas déclaré contraire à la Constitution, mais l'arrêt rendu le 29 décembre 2005, sauve bien des heureux bénéficiaires. On peut y lire que la juste répartition de l'impôt entre les citoyens exigée par la Déclaration de 1789 ne serait pas respectée si celui-ci « revêtait un caractère confiscatoire » ou faisait peser sur certains (une larme coule) « une charge excessive ». Encore plus fort, le Conseil va beaucoup plus loin et déclare que « dans son principe, le bouclier fiscal tend à éviter une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ». En résumé, ce nouveau dispositif met fin à une situation antérieure de « rupture de l'égalité », qui, elle était inconstitutionnelle. La question de l'impossibilité d'un retour en arrière est déjà posée, mais personne ne s'en était rendu compte.
En 2007, on recommence. Le « paquet fiscal » concocté par Sarko et son équipe modifie et embellit le bouclier. La CSG et la CRDS entrent à leur tour dans le calcul des impôts payés, et le plafond d'imposition descend à 50% des revenus. Le Conseil constitutionnel est, à nouveau, invité à se prononcer. Le 16 août 2007, il reprend mot pour mot, les termes de 2005. En y ajoutant une gâterie : le nouveau taux de 50% plus favorable aux riches contribuables, avec cette formule : il n'est « entaché d'aucune erreur manifeste d'appréciation ». « Le Conseil a constitutionnalisé le principe du bouclier fiscal, commente un juriste, spécialisé en la matière. Il est aujourd'hui impossible de le supprimer sans le remplacer par un dispositif de même nature. » Le raisonnement semble imparable : puisque le Conseil a dit que le bouclier empêchait une rupture d'égalité », le supprimer créerait forcément une « inégalité » contraire aux règles constitutionnelles.
Voilà le bouclier gravé dans le marbre. Même si la gauche revient au pouvoir, elle risque de ne pas pouvoir s'en défaire. Ou avec les plus grandes difficultés, nuance un autre professeur de droit constitutionnel. Il est possible, explique-t-il, de soutenir que cette appréciation des juges du Palais-Royal était en fonction des conditions particulières au moment où ils se sont prononcés. C'est-à-dire sans la crise, et sans quelques autres dispositions fiscales prises postérieurement. Ainsi, le Conseil pourrait-il, au prix de quelques contorsions qui font le bonheur des juristes, estimer que le bouclier n'est plus indispensable pour assurer la sacrosainte égalité des citoyens face aux obligations fiscales. Mais tous les experts s'accordent pour dire que ce ne sera pas une promenade de santé. Et les 16 350 heureux bénéficiaires du « bouclier » peuvent encore, avec les 586 millions qui leur ont été remboursés cette année, ouvrir quelques bouteilles de champagne.
samedi 24 avril 2010
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